L'Europe francophone face à la reconnaissance faciale

Soyez au courant des dernières nouvelles en matière de lois sur la reconnaissance faciale en Europe francophone

Written by Marc Zerbola Challande

À savoir

  • Avenir réglementé: La reconnaissance faciale est au cœur des débats en Europe, mais plutôt que de l’interdire, les députés préfèrent une approche modérée pour équilibrer ses avantages et ses risques.
  • Adaptation nationale variée: Chaque pays européen cherche à intégrer la reconnaissance faciale dans son cadre national, mais les approches diffèrent selon les préoccupations locales et les directives de l’UE.
  • AI Act: L’adoption de l’AI Act par l’UE vise à réglementer la reconnaissance faciale pour protéger les droits individuels, marquant un tournant dans sa régulation.
  • Débats continus: Malgré les réglementations en cours, l’avenir de la reconnaissance faciale en Europe reste incertain, avec des discussions en cours pour équilibrer sécurité, commodité et protection de la vie privée.
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La reconnaissance faciale est désormais au centre des discussions. Face à la tentation initiale d’interdire cette technologie avancée, les députés européens ont préféré adopter une approche d’utilisation modérée, reconnaissant ses multiples bénéfices lorsqu’employée judicieusement. Toutefois, l’adaptation à cette technologie varie significativement d’un pays européen à l’autre, chacun cherchant à l’intégrer harmonieusement dans son cadre national, tout en restant attentif aux directives du Parlement européen. Cet article se propose d’examiner les stratégies envisagées par l’Europe francophone pour incorporer la reconnaissance faciale dans leur société.

Quels peuvent-être les excès de la reconnaissance faciale?

Dans un monde où la technologie progresse à pas de géant, la reconnaissance faciale s’impose comme un outil de modernité mais aussi de controverse.

Au cœur des inquiétudes, l’intrusion dans l’intimité des individus se dessine comme le principal excès de la reconnaissance faciale. En scrutant les visages sans consentement explicite, cette technologie peut dresser des profils détaillés de la vie privée des personnes, érodant ainsi le concept même d’anonymat dans l’espace public.

Les images captées et analysées alimentent les craintes d’une surveillance de masse, rappelant les dystopies orwelliennes. Les gouvernements et certaines entreprises pourraient être tentés d’utiliser ces outils pour surveiller, contrôler et potentiellement réprimer les populations, transformant chaque caméra en un œil scrutateur.

De plus, la technologie n’est pas infaillible. Les erreurs de reconnaissance peuvent mener à des accusations injustifiées, voire à des arrestations erronées, posant des questions de fiabilité. Les biais algorithmiques peuvent entraîner une discrimination, particulièrement envers certaines ethnies ou groupes sociaux moins bien représentés dans les bases de données d’apprentissage.

L’exploitation commerciale des données capturées par reconnaissance faciale constitue un autre débordement. Les informations collectées peuvent être utilisées à des fins publicitaires ciblées sans le consentement des individus, brouillant davantage la ligne entre la sphère privée et l’intérêt commercial.

À lire: Comment fonctionne la reconnaissance faciale? 

L’AI Act instauré par le Parlement Européen

Au cours de l’année 2023, le Parlement européen a intensifié ses efforts législatifs concernant la technologie de reconnaissance faciale, dans le but de se positionner comme leader mondial dans ce domaine. Initialement, plusieurs factions parlementaires avaient plaidé pour une interdiction totale de son utilisation. Néanmoins, le résultat final a adopté une approche plus nuancée : la technologie de reconnaissance faciale a été autorisée, mais soumise à de strictes restrictions:

  • Mai 2023: Les législateurs ont adopté une version renforcée du cadre réglementaire de l’UE sur l‘intelligence artificielle, incluant une proposition d’interdiction totale de l’identification biométrique à distance dans les lieux publics. Cela couvre les techniques assistées par IA comme la reconnaissance faciale, visant à identifier les individus à partir d’images ou de vidéos, que ce soit en temps réel ou a posteriori;
  • Décembre 2023: L’Union européenne est pionnière dans la régulation de l’intelligence artificielle avec son AI Act, suscitant des réactions partagées. Certains critiquent cette initiative comme prématurée ou une régulation pour le principe même de réguler, tandis que d’autres estiment que le texte ne cible pas suffisamment des enjeux cruciaux tels que la reconnaissance faciale, crucial pour les droits individuels.
  • Mars 2024: La législation adoptée en décembre 2023 avec 523 voix pour, interdit les applications d’IA nuisant aux droits des citoyens. Cela inclut les systèmes de catégorisation biométrique sensibles, la création non spécifique de bases de données faciales via Internet ou vidéosurveillance, la reconnaissance des émotions au travail et dans l’éducation, la notation sociale, la police prédictive basée sur le profilage, et l’IA influençant le comportement ou exploitant les vulnérabilités.

FILE PHOTO: Members of the European Parliament take part in a voting session in Strasbourg, France, March 26, 2019. REUTERS/Vincent Kessler -/File Photo

La France légifère pour des notions de sécurité intérieure

En Europe francophone, la France a commencé à se poser des questions sur le sujet et à trouver des réponses. Le 12 juin 2023, le Sénat a approuvé en première lecture un projet de loi visant à restreindre l’emploi des technologies de reconnaissance faciale. Cette initiative législative découle d’un rapport sénatorial de 2022 recommandant de réglementer l’utilisation de la reconnaissance faciale, en y appliquant des restrictions basées sur trois principes fondamentaux :

  • Le principe de subsidiarité, stipulant que son usage doit être réservé aux situations où il est strictement nécessaire.
  • Le principe d’une supervision humaine obligatoire, cantonnant la reconnaissance faciale au rôle de support dans le processus décisionnel.
  • Le principe de transparence, assurant que son utilisation ne se fasse pas sans la connaissance des individus concernés.

D’ailleurs, pour les Jeux Olympiques de 2024, bien que la reconnaissance faciale ne sera pas utilisée, la France testera la vidéosurveillance algorithmique (VSA), un logiciel similaire qui permet de repérer « des événements ou comportements jugés suspects ou à risque. »

Pourtant, la reconnaissance faciale est déjà utilisée sous certaines conditions. Dans le secteur de la sécurité, la reconnaissance faciale est couramment déployée pour des opérations de vérification d’identité aux frontières, ainsi que dans les aéroports et les gares. Elle s’avère également précieuse pour les forces de sécurité dans le cadre de l’identification de suspects suite à des actes terroristes, entre autres applications.

Belgique: Alexander De Croo n’y est pas opposé

En mars 2023, l’intégration de la technologie de reconnaissance faciale aux caméras de surveillance a été observée.

Actuellement, il n’y a pas de législation spécifique encadrant l’emploi de cette technologie dans les lieux publics. Cependant, cela n’a pas dissuadé les autorités d’utiliser le logiciel Clearview, sujet à controverse, lors de tests effectués à l’aéroport de Bruxelles en octobre 2019.

Par ailleurs, une pétition a été lancée devant le parlement de Bruxelles. Sous le mot d’ordre « Protect my face » (Protégez mon visage), les signataires exigaient l’interdiction totale de la reconnaissance faciale dans les espaces publics de la ville.

Toutefois, le Premier ministre Alexander De Croo ne s’oppose pas catégoriquement à l’emploi de la reconnaissance faciale dans des cas bien définis. Il rejette l’idée d’une société sous surveillance constante, où chaque déplacement serait traqué. Cependant, il soutient que dans certaines circonstances, les caméras dotées de reconnaissance faciale pourraient représenter un avantage.

Le premier ministre Alexander De Croo parlant de la reconnaissance faciale

À lire: Les meilleures conditions pour la reconnaissance faciale 

Suisse: Fedpol prévoit d’améliorer son système de sécurité

Le gouvernement suisse a suggéré que l’Office fédéral de la police (Fedpol) se dote d’une technologie de reconnaissance faciale pour l’identification de suspects, avec une mise en place prévue pour 2026 et un budget estimé à environ 25 millions de francs. Chaque année, Fedpol traite plus de 340’000 requêtes d’identification, ce qui met en évidence le rôle crucial de cette initiative dans la prévention de la criminalité.

Il convient de souligner que cette technologie constituera un outil parmi d’autres dans le cadre de l’identification et ne constituera pas une preuve suffisante pour condamner quelqu’un sans autres éléments probants. Fedpol sera limité dans ses sources d’images, excluant notamment celles issues de documents d’identité ou des plateformes de réseaux sociaux, et il ne sera pas question de réaliser une surveillance en temps réel grâce à des caméras.

Sous la nouvelle législation suisse de protection des données (nLPD), effective depuis septembre 2023, les informations biométriques sont reconnues comme étant des données délicates du fait de leur capacité à identifier précisément un individu. Pour le traitement de ces données, aucune approbation automatique n’est accordée: une justification légale spécifique est requise.

Néanmoins, leur manipulation n’est pas formellement proscrite. Cette réglementation concerne principalement les entités fédérales et les entreprises privées, excluant les autorités cantonales de son application.

Luxembourg: L’aéroport national Findel à la pointe de la technologie

Le Luxembourg a manifesté un vif intérêt pour l’intelligence artificielle. Lors du vote sur l’Acte IA, les cinq représentants luxembourgeois présents ont tous approuvé la mesure.

Début 2024, il a été annoncé qu’un investissement de 1 million d’euros serait réalisé à l’aéroport de Luxembourg pour l’installation, d’ici l’automne, d’un nouveau système de contrôle d’empreintes digitales et de reconnaissance faciale. Toutefois, ce système ne concernera pas tous les voyageurs. En effet, il est destiné uniquement aux voyageurs non membres de l’Union européenne qui nécessitent un visa de court séjour ou à ceux autorisés à séjourner jusqu’à 90 jours sur une période de 3 mois en Europe (sans visa obligatoire).

Reconnaissance faciale dans un aeroport

Quel avenir pour la reconnaissance faciale en Europe francophone?

L’avenir de la reconnaissance faciale en Europe reste incertain mais fortement réglementé. Alors que certains pays, tels que la France et la Belgique, cherchent à restreindre son utilisation, d’autres comme la Suisse envisagent de l’adopter avec des restrictions strictes.

L’introduction de l’AI Act par le Parlement européen indique une volonté de réguler cette technologie pour protéger les droits individuels.

Cependant, son avenir dépendra de l’équilibre entre les avantages potentiels en termes de sécurité et de commodité, et les préoccupations persistantes concernant la vie privée et les libertés civiles. Il est probable que des débats et des ajustements continus auront lieu pour déterminer dans quelle mesure la reconnaissance faciale sera intégrée dans la société européenne.